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Cap Horn : me voilà !

  • Mademoiselle Artichaut
  • 17 févr. 2015
  • 5 min de lecture

CAP_HORN_YAGAN_BERTIN_USHUAIA

"Le 21 février 2000, je suis en Argentine, dans le port d'Ushuaïa... Je m'en souviens comme si c'était hier... il est 10 heures du matin, c’est le plein été, la température approche les 10°C et je n’en crois pas mes yeux : il fait beau ! Quand j’arrive sur le môle, l’équipage m’attend. Nous embarquons illico presto à bord du "YAGAN III", un ketch construit à Sète, en 1981...

Ayant déjà fait connaissance par Internet, les présentations de l'équipage sont écourtées : el capitan Julio BRUNET (professeur argentin), Carlos RODRIGUEZ (architecte argentin) et Walter HUENINGHAKE (psychologue allemand). Nous endossons la tenue de loup de mer et appareillons au moteur pour longer la côte sud de la Terre de Feu, cap à l’est dans l’axe du canal du Beagle en vue de rallier PUERTO WILLIAMS, la base navale où nous devons pratiquer les formalités d’entrée au Chili. Je profite de l’escale pour souhaiter son anniversaire à Odette en battant ma coulpe : "j’ai changé ma destination, c’est le Horn et je suis sur un voilier !" Quel faux cul :-) ! Du coup ma femme me raccroche au nez. Sincèrement, j’éprouve un profond malaise...

S’il n’y avait que ça ! Mais ma tricherie est découverte par les militaires chiliens car je m’étais rajeuni de 10 ans pour pouvoir embarquer, 58 ans au lieu de 68 ! C’est la journée des dupes. Tout finit par des rires ! Le soir même, on tire les couchettes à la courte paille... Pas de chance, j’hérite du "cercueil". On ne peut pas toujours gagner !

En pleine nuit, l’amirauté nous réveille en fanfare pour nous déloger à cause d’une alerte de coup de vent. Bousculade dans la coursive... La navigation dans le Beagle reprend, seulement cette fois les conditions s‘avèrent plus délicates. C’est la nuit noire. A la sortie du canal, on vire au sud en direction de l’archipel Wollaston où se trouve notre monstre, le Horn ! La traversée de la baie de Nassau n’est pas une partie de plaisir. Si le bateau s’accommode assez bien des premières déferlantes venues de l’ouest, il n’en est pas de même des hommes ! Un avant goût de ce qui nous attend ! Quarts de deux heures, dont une de barre alternés avec deux heures de repos dans le roof. A longueur de nuit, le thermomètre a chuté. Le froid et surtout la surveillance du compas de barre réveillent mon arthrose cervicale. Heureusement mon estomac supporte les mouvements de la coque. Je ne remercierai jamais assez le shipchandler de St Martin-de-Ré de m’avoir conseillé le bracelet contre le mal de mer ! Comme il faut s’alimenter je grignote un bâtonnet de pâte d’amande Gerblé made in Revel, c’est le pied ! Un bonheur malgré la trouille. Enfin bonne nouvelle, la vigie du Cap Horn nous décommande de tenter le passage dans les prochaines quarante huit heures, ce qui signifie en clair "trouvez un mouillage calme et restez-y". Un coup d’œil sur la carte et ce sera la caleta Martial au nord de l’île HERSCHEL.

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Le 22 février, nous sommes au paradis ! On joue les Robinson. Pas âme qui vive ! J’herborise. Les oiseaux ne nous fuient pas. C’est magique, nous sommes sur une autre planète ! Dîner sur le pont avec un genre de bœuf miroton piquant concocté par le capitaine, arrosé d’un malbec de Mendoza. Après ça, pas besoin de berceuse :-) !

Le 23 février, à l’aube, la vigie annonce que nous disposons d’une fenêtre favorable à condition de lever l’ancre. Qu’à cela ne tienne, nous faisons fissa et c’est parti ! En route vers le rendez-vous mythique nous sommes retardés par les kelps – ces algues géantes qui flottent en surface - et dans l’obligation de louvoyer, moteur en marche. Enfin, nous débouchons sous voiles dans le grand océan austral, entre les îles Hermitte, par 56° C sud. Pas d’iceberg en vue ! Dans le sud, aucune terre jusqu’à l’Antartique, distant de 800 km...

Soudain, voici qu’apparaît à babord le sinistre promontoire du Cap Horn ! Il fait toujours

froid, l’eau est à 5° C mais divine surprise un franc soleil nous souhaite la bienvenue.

Julio m’autorise à hisser le pavillon de la croix occitane alors que nous faisons cap à l’Est toutes voiles dehors. Une photo pour l’Histoire !

Profitant de cette météo exceptionnelle, nous mouillons à la minuscule caleta san Leon. Il faut faire vite et escalader, à nos risques et périls, un escalier de bric et de broc pour avoir accès à la vigie. Tout la haut, le gardien, sa femme et leurs deux bambins, plus deux chiens ! Relevés tous les six mois. Le temps est compté ; après l’estampillage du passeport et la minute de silence devant le monument des long courriers français, nous redescendons par le même chemin escarpé. Désormais, je pourrais cracher au vent comme un cap hornier...

Relâche à notre mouillage préféré de l’île HERSCHEL. Ce soir là, nous sablons le champagne argentin et attendons le moment propice pour mettre les voiles.

Equipage_YAGAN_CAP_HORN.jpg

Mais contre toute attente, le capitaine décide de précipiter le départ ; en faisant du nord , dit-il, on échappera au plus fort de la dépression.

Le 25 février, malgré le vent fort qui tourne à l’est, nous appareillons pour traverser la baie de Nassau. Les conditions sont franchement mauvaises, houle et mer de travers tribord, déferlantes, folles embardées, roulis et tangage, la totale quoi ! Une seule voile, la trinquette. Dans la baignoire, les pieds dans l’eau, solidement harnachés, ça ne rigole pas !

A l’intérieur du roof non plus, à cause des nausées... Le vent s’établit maintenant au sud amenant un air glacial. Je ne sens plus mes orteils...

Enfin l’entrée du Beagle. Sauvés ? Non, car des averses de neige nous assaillent venant de la Terre de Feu. Le "Yagan" se couche sur babord. Dans la précipitation je me baisse pour saisir une drisse et reçoit la bôme de misaine au creux du cou. Plus de peur que de mal mais deux années plus tard une radio révèlera les séquelles d’une fracture à une énième cervicale !

Jusqu’au bout le canal du Beagle nous donnera des sueurs froides !

Dans la soirée notre ketch est paisiblement amarré au wharf antédiluvien de PUERTO TORO où un pêcheur de crabes géants échange ses prises contre du whisky. Un régal.

Le 26 février, retour à PUERTO WILLIAMS, escale obligatoire pour quitter le territoire chilien. Comme c’est samedi, nous faisons la fête à bord du MICALVI, une antiquité des années 10, transformé en boite de nuit pour les midships de l’Armada. Quelques spécimens féminins se tortillent la croupe pendant que nous refaisons le voyage. Un comble ! C’est moi qui régale pour me racheter de mes 58 ans ! Heureusement, les tournées de pisos ne coûtent pas cher !

Après une bonne récupération, je vais à la poste pour téléphoner à Odette et lui dire que je suis sain et sauf. Elle semble soulagée et heureuse. Une vraie femme de marin !

Et, comme il nous reste assez de temps, nous visitons le cimetière indien avec la tombe de la dernière indigène yagan de race pure décédée il a peu... Le génocide indien, vous connaissez ? Non ? Alors, lisez Jean Raspail !

Le 27 février, terminus à Ushuaïa ! El capitan, grand seigneur, nous convie chez lui autour d’un asado monstre arrosés de vins argentins. Adios ! Tierra del Fuego !"

Jean Bertin, Mazamet, 2015

Epilogue du journaliste de La Dépêche :

"Au fait, si vous voyez Jean BERTIN le regard ailleurs, ne vous étonnez plus..."

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